Dakar, 21 nov (SL-INFO) – Cela fait une semaine que le procès de Roger Lumbala a commencé à Paris. Poursuivi en France pour complicité de crimes contre l’humanité, l’ancien chef de guerre congolais refuse toujours de se présenter dans le box des accusés. Lors des audiences de mercredi et jeudi, l’officier de police judiciaire a détaillé le déroulé de l’enquête et les méthodes d’investigation.

« Cette enquête a été longue, exigeante et complexe », souligne le directeur d’enquête à la barre. Pour identifier la responsabilité de Roger Lumbala, les enquêteurs procèdent au « recueil de nombreux témoignages, à la reconstitution des faits », s’appuient sur des rapports d’ONG, des articles de presse ou des dépositions faites devant la CPI.

Une première phase d’enquête préliminaire leur permet d’établir que les troupes du RCD-N avaient bien commis des « violences systématiques » et que Roger Lumbala, qui tenait un rôle de commandement politique et militaire, « ne pouvait ignorer les exactions qui avaient été commises sous son autorité ». Après l’interpellation du suspect, fin décembre 2020, les investigations entrent dans une deuxième phase, avec l’ouverture d’une information judiciaire, sous la houlette d’un juge d’instruction.

Mais, en raison de la situation sécuritaire tendue en RDC, les enquêteurs ne peuvent se rendre sur place, et doivent se contenter d’éléments saisis au domicile de Roger Lumbala et d’auditions de témoins. Or, « malgré son incarcération, Roger Lumbala conserve une forte capacité d’action et de contact », souligne l’officier, qui s’appuie sur les écoutes des appels téléphoniques de l’accusé depuis la prison. Ces écoutes révèlent qu’il tente d’entrer en contact avec des personnes haut placées et des journalistes en RDC, et qu’il évoque certains témoins.

Pressions

Les enquêteurs joignent un certain nombre de personnes pour leur demander de témoigner ou de participer à des confrontations avec Roger Lumbala, mais se heurtent à de nombreux refus. Exprimaient-ils une crainte pour leur devenir ?, demande l’avocate générale Claire Thouault. « C’est quelque chose qui était très régulièrement évoqué », atteste le directeur d’enquête.  Après avoir montré des documents et des photos trouvés dans le téléphone de l’accusé, l’officier revient sur le cas d’un certain « Sacré Mbuyamba », contacté parce qu’il est proche de Roger Lumbala, pour être entendu.

Il accepte de venir en France, mais durant son audition, il reçoit plusieurs fois des appels d’un certain « Papy », en lien avec Lumbala, alors que ce dernier est incarcéré à la prison de la Santé.
Mais après l’audition, Mbuyamba rentre en RDC. Il envoie alors un mail aux enquêteurs et met les avocats de la défense en copie. Il écrit : « je viens de prendre connaissance via la partie défense de Monsieur Roger Lumbala du pv de mon témoignage. Je suis disposé à refaire mon témoignage pour éclairer ». Il demandera plus tard à se rétracter. Le gendarme en charge de l’enquête en déduit que c’est la défense qui lui a transmis ce procès-verbal. Une pratique totalement interdite puisqu’elle viole le secret de l’instruction.

Lors de cette audition, l’officier en charge de l’enquête judiciaire a tenté de démontrer les interférences dans le dossier. Si l’enquête a tenté de trouver des témoins à charge et à décharge, il apparaît que même des proches de Lumbala ont subi des pressions, tout comme les témoins à charge. L’accusé n’étant pas dans le box, il est impossible de contredire ces arguments.

Mission onusienne

Outre l’exploitation du téléphone de l’accusé avec de nombreuses photos, auditions de proches et des victimes, l’investigation s’est aussi penchée sur des documents de l’ONU. Deux anciens enquêteurs de la Monuc (Mission de l’ONU pour la stabilisation en République démocratique du Congo) sont venus établir les liens entre l’accusé et le groupe rebelle RCD-N. 

Sonia Bakar, fonctionnaire onusienne, est interrogée en début d’après-midi. Elle ne se souvient pas des dates exactes et informe que plusieurs personnes ont contribué au rapport S/2003/674 de l’ONU. « Je me suis rendue en Ituri début 2003, raconte-t-elle. Mon rôle n’était pas de rédiger le rapport, mais uniquement de communiquer les informations dont je disposais sur les victimes. Chacun remplissait sa part et j’ai fait la mienne. » 

Aux alentours de 17h00, c’est le 2ᵉ enquêteur des Nations unies qui intervient. Son immunité a été levée tardivement, alors les questions fusent. Le président demande à Pierre-Antoine Braud : le RCD-N faisait-il partie de l’opération « Effacer le tableau » ? Oui, dit-il, et il confirme que le mouvement était bien dirigé par Roger Lumbala. Faisant référence aux pillages, le président lui demande : Que peut-on faire avec un dollar ? « C’est le prix d’une grenade, mais aussi d’un litre et demi d’eau… Le riz ou les pommes de terre coûtent moins cher », précise-t-il.

Le président évoque les demandes des enquêteurs français adressées à l’ONU, affirmant que l’organisation internationale n’a jamais répondu. Les deux enquêteurs des Nations unies ont livré des récits sur les violences commises sur le territoire de Mambassa d’octobre à décembre 2002. Des violences exercées en particulier contre les Pygmées, victimes d’une forte déshumanisation, affirme Pierre-Antoine Braud

Jeudi soir, le président de la cour a mis en délibéré la question de la compétence universelle, estimant qu’il avait suffisamment d’informations pour donner sa réponse. Il devrait rendre sa décision ce vendredi.

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