Dakar, 28 juin (SL-INFO) – Les regards se sont portés ces deux dernières semaines sur la guerre déclarée par Israël à l’Iran. Pendant ce temps, dans la bande de Gaza, le nombre de morts n’a cessé d’augmenter, dépassant désormais les 56 000. Outre la guerre, « l’aide alimentaire officielle », qui échappe aux acteurs traditionnels, est devenue une véritable arme pour Israël. Dans la bande de Gaza, depuis le 7 octobre 2023, les drames s’ajoutent aux drames. Le déclenchement par Israël d’une nouvelle guerre sur un nouveau front du 13 au 25 juin n’a pas fait cesser le massacre en cours. Les superlatifs ne manquent pas pour qualifier ce qui s’y passe, le terme de génocide étant, entre autres, de plus en plus utilisé par certains États. Depuis le 2 mars et la fin du cessez-le-feu déclaré unilatéralement par Israël, l’arme de la faim est utilisée au même titre que les armes létales. « Il n’existe plus de famines naturelles dans le monde ; il ne reste que des famines politiques. Si des gens meurent de faim […] c’est que certains hommes politiques l’ont voulu », écrivait en 2015 l’universitaire et historien Yuval Noah Harari dans Homo Deus.

Parmi les nombreuses déclarations affirmant clairement ce projet, celle du ministre de la Défense, Israël Katz. « Aucune aide humanitaire n’entrera à Gaza », a-t-il déclaré mi-avril malgré de multiples mises en garde contre une famine massive émises par des ONG et des instances internationales. En août 2024, le ministre des Finances Bezalel Smotrich avait déjà affirmé qu’il « serait justifié et moral de laisser mourir de faim 2 millions de Palestiniens à Gaza pour libérer des otages ».

Mourir de faim ou de risquer d’être tué en essayant d’obtenir de la nourriture
Fin mai, Israël, après avoir mûrement réfléchi, a pourtant annoncé assouplir le blocus total imposé au territoire palestinien deux mois auparavant, blocus ayant entraîné de très graves pénuries de nourriture, médicaments et autres biens de première nécessité. Une décision qui n’a fait qu’amplifier la peur de la mort pour les Palestiniens. Et pour cause.

Les autorités israéliennes ont mis en place un mécanisme de distribution d’aide piloté par la Fondation humanitaire de Gaza (GHF), un organisme au financement opaque soutenu par Israël et les États-Unis mais avec lequel l’ONU et les ONG humanitaires refusent de travailler émettant des doutes sur sa neutralité. La GHF, dont l’actuel PDG est un dirigeant évangélique proche du président américain Donald Trump et du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu, dit avoir distribué près de 40 millions de repas – quantités très insuffisantes au regard des besoins – depuis le début de ses opérations, mais son déploiement a été marqué par des scènes chaotiques.

Ces points de distribution américano-israéliens – quatre pour plus de deux millions d’habitants, installés dans des zones militarisées, ont la taille d’un terrain de football et sont entourés de postes d’observation, de talus de terre et de barbelés. Ils sont devenus de véritables pièges pour les Palestiniens. Le 18 juin, plus de 60 personnes ont encore été tuées et des centaines blessées lorsqu’un char a tiré sur une foule rassemblée dans l’attente de camions d’aide. Pour assurer la sécurité de ses centres, la fondation a recours à des contractuels armés.

« GHF, c’est un piège, c’est sûr, alerte Jean-François Corty*, président de Médecins du monde. Mais c’est aussi un dispositif qui n’a rien d’humanitaire pour des raisons de principes, d’actions, de missions sociales qui ne renvoient pas à ceux de l’action humanitaire contemporaine. C’est l’incarnation de ce qu’est la privatisation, la militarisation de l’aide. C’est géré par des mercenaires sous supervision de l’armée israélienne et dans ces conditions, ils ne répondent pas aux principes d’impartialité, d’indépendance, de désintéressement, puisqu’ils sont des opérateurs de parties prenantes au conflit. »

« Notre moyen de communication, c’est la fusillade »
Les images de Palestiniens affamés faisant la queue dans ce qui ressemble à des cages, ou encore d’hommes et d’enfants allongés et rampant au sol pour éviter les tirs, ont fait le tour des réseaux sociaux. Sans parler des photos d’enfants aux joues creusées, aux orbites enfoncées, aux corps décharnés, qui attendent de l’aide… Le CICR affirme avoir soigné plus de 2 000 victimes en un mois, touchées à proximité d’un centre de distribution. « J’ai vu des patients avec des blessures à l’arme à feu dans le dos. J’en ai vu aussi sur les bras… Quand il y a ces vagues de blessés, il y a des gens qui ont tellement de sang sur eux qu’on ne peut pas voir où est la blessure et d’où vient le sang », décrit la porte-parole du Comité sur les ondes de France Info.

Gérer mes choix
Dans la bande de Gaza aujourd’hui, « le simple fait de vouloir survivre est devenu une condamnation à mort », dénonce Jonathan Whittall, chef du bureau humanitaire de l’ONU pour le territoire palestinien occupé. « Le riche doit manger quand il a faim, et le pauvre quand il trouve de quoi manger », dit un proverbe oriental. Depuis fin mai, près de 560 Palestiniens ont été tués à proximité de lieux de distribution d’aide humanitaire alors qu’ils cherchaient à se ravitailler. Plus de 4 000 ont été blessés. Le dispositif de GHF « est un simulacre de distribution alimentaire qui produit des massacres à la chaîne et doit être immédiatement arrêté », dénonce Médecins sans frontières (MSF) ce 27 juin.

« Là où j’étais posté, entre une et cinq personnes étaient tuées chaque jour, témoigne un soldat israélien au journal Haaretz. Elles sont traitées comme des forces hostiles : pas de mesures de contrôle des foules, pas de gaz lacrymogènes ; juste des tirs à balles réelles avec tout ce qu’il est possible d’imaginer : mitrailleuses lourdes, lance-grenades, mortiers. Puis, une fois le centre ouvert, les tirs cessent et ils savent qu’ils peuvent approcher. Notre moyen de communication, c’est la fusillade. » Et d’ajouter : « Je n’ai pas connaissance d’un seul cas de riposte. Il n’y a ni ennemi ni arme. » « Ce sont des mensonges malveillants conçus pour salir les Forces de défenses d’Israël, l’armée la plus morale au monde », ont aussitôt réagi dans un communiqué commun Benyamin Netanyahu et son ministre de la Défense Israël Katz.

Crime de guerre
Le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme a qualifié mardi 24 juin de « crime de guerre » l’utilisation de la nourriture comme une arme à Gaza, exhortant l’armée israélienne à « cesser de tirer sur les personnes qui tentent de s’en procurer ». Au regard du droit international humanitaire, il est strictement interdit d’utiliser la famine comme arme de guerre et selon le statut de la Cour pénale internationale (CPI), « le fait d’affamer délibérément des civils comme méthode de guerre » constitue un crime de guerre dans les conflits armés internationaux. En tant que puissance occupante, Israël est tenu de répondre aux besoins de la population de Gaza et de la protéger.

« Le soi-disant “mécanisme” d’aide récemment créé est une abomination qui humilie et dégrade les personnes désespérées. C’est un piège mortel », a également dénoncé Philippe Lazzarini, responsable de l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (Unrwa). La GHF a de son côté nié que des incidents meurtriers se soient produits à proximité immédiate de ses points d’aide.

Bande de Gaza: l’arme israélienne de la faim

Le nord de la bande de Gaza sans aucune aide alimentaire
Dans le nord de l’enclave assiégée et dévastée, la nourriture n’est pas acheminée par la Fondation humanitaire de Gaza, mais par des organisations humanitaires internationales de manière extrêmement limitée et bien en dessous de ce dont a besoin la population. Pourtant, là encore, Israël semble décidé à utiliser l’arme de la faim.

Mercredi 25 juin, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu a décidé de stopper la distribution d’aide alimentaire dans cette partie du territoire après que Bezalel Smotrich a menacé de quitter la coalition. Le ministre des Finances cite une vidéo sur laquelle il y aurait des membres du Hamas sur des camions d’aide humanitaire à Gaza. Benyamin Netanyahu et son ministre de la Défense ont lancé un ultimatum à l’armée israélienne pour élaborer un plan afin que le Hamas ne s’empare pas de la nourriture. Mais selon des médias locaux à Gaza, il s’agit de gardes de sécurité envoyés par les chefs de tribus familiales de la bande de Gaza pour protéger les convois de camions d’aide contre le pillage.

La bande de Gaza, prison à ciel ouvert depuis 18 ans et aujourd’hui assiégée, « est la seule zone délimitée, un pays ou un territoire défini à l’intérieur d’un pays, où la totalité de la population est menacée de famine. 100% de la population est menacée de famine », déclarait il y a un mois Jens Laerke, porte-parole du bureau des affaires humanitaires de l’ONU (Ocha). Et cette population affamée est, en plus, poussée à se rendre dans l’extrême sud de l’enclave si elle espère obtenir un peu d’aide alimentaire, puisque trois des quatre centres de distribution ont été mis en place près de Rafah. Selon Benyamin Netanyahu, cité par le journal israélien Maariv le 11 mai, « l’octroi de l’aide serait conditionné au non-retour des Gazaouis qui en bénéficieraient vers les lieux d’où ils seraient venus ».

« GHF est un outil qui va pousser les Palestiniens à se déplacer dans le Sud pour aller chercher à manger, parce qu’en fait il n’y a plus rien ailleurs. C’est pour concentrer la population dans le Sud avant peut-être de proposer autre chose, notamment l’expulsion, analyse le président de Médecins du monde. C’est une forme de caution pour les Israéliens pour dire : “Regardez, nous on a des humanitaires, ils sont autour de Rafah et on et on va accueillir les gens et tout va bien en fait”. Or, si on pousse la réflexion, c’est GHF qui va participer à cette politique de déportation. Et en plus, quand vous venez essayer de prendre de la nourriture, vous vous faites tuer comme des lapins. C’est de la cruauté. »

Bande de Gaza: l’arme israélienne de la faim

« Le “déplacement de population” par la création ou l’exploitation de pénuries graves, ainsi que l’utilisation de l’approvisionnement comme mesure de coercition, ne sont pas non plus des nouveautés en Israël, analyse pour Orient XXI Gadi Algazi historien social et activiste basé à Tel-Aviv. Dans une étude à paraître, j’ai documenté que, dans les années 1950, les autorités israéliennes ont utilisé la privation de produits essentiels comme un moyen de pression contre les Palestiniens déplacés pour prévenir leur retour, mais aussi dans une moindre mesure contre les juifs (principalement des Mizrahim, juifs originaires des pays arabes) que l’État tentait de transformer en colons dans les régions frontalières. »

Aujourd’hui, près de deux millions de personnes sont entassées sur moins de 18% du territoire. En date du 27 juin, 56 331 Palestiniens, en majorité des civils, sont morts depuis le 7 octobre 2023. « Ce drame est l’aboutissement de 20 mois d’horreur, d’inaction et d’impunité », déclarait la semaine dernière le chef de l’Unrwa en accusant la communauté internationale de passivité coupable.

RFI

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