Dakar, 06 août (SL-INFO) – Au moins 76 migrants sont morts et des dizaines d’autres portés disparus après le naufrage de leur embarcation au large du Yémen dimanche 3 août. Chaque année, de nombreuses personnes quittent la Corne de l’Afrique pour tenter de rejoindre les pays du golfe Persique. Le bilan est déjà lourd, mais il devrait encore s’aggraver. Lundi 4 août, l’Organisation internationale des migrations (OIM) a indiqué qu’une embarcation de migrants avait fait naufrage la veille, dimanche, au large du Yémen. Cent cinquante-sept personnes se trouvaient à son bord, au moins 76 d’entre elles sont mortes, et de nombreuses autres restent portées disparues. Selon l’agence de migration de l’ONU, la plupart de ces migrants proviendraient d’Éthiopie.
Le naufrage s’est produit dans le golfe d’Aden, au large du sud du Yémen, où tentent de se rendre de nombreux migrants venus de la Corne de l’Afrique (Éthiopie, Somalie, Érythrée et Djibouti), dans l’espoir de rejoindre les riches monarchies du Golfe comme l’Arabie saoudite.
« Un réseau de passeurs transfrontalier » pointé du doigt
Selon Marina de Regt, anthropologue à l’Université libre d’Amsterdam et spécialiste de la question des migrations entre les pays de la Corne de l’Afrique et le Yémen, les personnes qui tentent de rejoindre les pays du golfe Persique viennent pour la plupart d’Éthiopie. « L’Éthiopie traverse une période très difficile. La guerre du Tigré (2020-2022) est terminée, mais l’instabilité persiste, et il y a beaucoup de pauvreté », ajoute la chercheuse. En quête de meilleures conditions de vie, de travail et de sécurité, certains habitants, des hommes pour la plupart, tentent donc de « rejoindre les pays du Golfe, essentiellement l’Arabie saoudite ».
Derrière ces départs se cache souvent l’influence de passeurs qui « incitent et convainquent à migrer et à prendre ce risque », affirme Marine de Regt. « Dans de nombreux cas, les migrants paient et ne savent même pas qu’ils doivent traverser la mer puis passer par le Yémen avant d’arriver en Arabie saoudite. »
Interrogé par Guilhem Delteil, du service International de RFI, Abdusattor Esoev, chef de mission de l’OIM au Yémen, confirme : la migration s’organise par « un réseau de passeurs transfrontalier qui exploite le désespoir des gens qui ont besoin d’un meilleur emploi et de meilleures opportunités. »
Une route meurtrière et méconnue
Selon l’OIM, la route migratoire depuis les pays de la Corne de l’Afrique jusqu’au Yémen est l’une des plus empruntées au monde. L’organisation estime que 60 000 personnes ont débarqué au Yémen en 2024. « Les chiffres sont énormes, reprend Marina de Regt. Mais le fait que tant de migrants prennent le risque de traverser le golfe d’Aden reste assez méconnu. »
L’experte s’inquiète d’ailleurs du manque d’intérêt porté par la communauté internationale à cette route migratoire « importante ». « Ces migrations entre pays du Sud ne sont pas jugées importantes par les décideurs politiques, notamment en Europe […] Tout ce qui [leur] importe, c’est que les migrants ne se retrouvent pas sur [leur] territoire. »
Abdusattor Esoev décrit également cette route migratoire d’Afrique de l’Est comme « l’une des plus importantes » au monde. L’une des plus meurtrières aussi. L’OIM estime que 3 400 personnes sont mortes en empruntant ce chemin au cours des dix dernières années : 558 l’an dernier, dont 462 à cause de naufrages. En mars 2025, quatre embarcations de migrants avaient déjà fait naufrage au large du Yémen et de Djibouti. Seules deux personnes avaient pu être sauvées.
Au Yémen, les migrants en proie aux violences et à l’exploitation
La traversée de la mer Rouge ou du golfe d’Aden à bord d’embarcations de fortune ne constitue pas l’unique danger de mort pour les migrants. Au Yémen, pays en proie à la guerre civile, ces derniers se retrouvent confrontés à un risque accru de violences.
« En plus de la situation de guerre qui se traduit par un manque de nourriture et une grande insécurité, l’exploitation des migrants et des réfugiés est courante, détaille Marina de Regt. Il arrive que des personnes soient kidnappées par des gangs et que des femmes migrantes soient exploitées sexuellement par des criminels. » Une prolifération de la criminalité facilitée par l’instabilité dans le pays. Mais malgré la guerre civile et les nombreux risques encourus, le nombre de migrants rejoignant le pays a augmenté depuis 2014.
En avril dernier, les migrants d’Afrique de l’Est se sont aussi retrouvés malgré eux au cœur de l’escalade militaire entre les États-Unis et les rebelles houthis au Yémen. Soixante-huit civils avaient été tués et des dizaines d’autres blessés dans des frappes américaines menées sur un centre de détention pour migrants basé à Sanaa, fief des rebelles.
Des centaines de migrants tués à la frontière
Lorsqu’ils ne restent pas bloqués au Yémen, le passage vers l’Arabie saoudite est, lui aussi, particulièrement dangereux pour les migrants. En 2023, l’ONG Human Rights Watch révélait que les garde-frontières saoudiens ont, entre mars 2022 et juin 2023, tué des centaines de migrants et demandeurs d’asile éthiopiens qui tentaient de franchir la frontière entre le Yémen et l’Arabie saoudite. « Les gardes des postes de contrôle tirent au hasard sur les migrants qui tentent de traverser. C’est une entreprise très risquée de traverser la frontière saoudienne », confirme Marina de Regt.
Si certains parviennent ensuite à trouver du travail en Arabie saoudite, de nombreux migrants restent dans une situation précaire et instable, courant le risque d’être arrêtés et expulsés. « Il arrive que des hommes soient expulsés vers l’Éthiopie, mais ils recommencent malgré tout, même s’ils savent à quel point le trajet est risqué, conclut Marina de Regt. Ils recommenceront parce qu’ils sont désespérés. »
