Diourbel, 10 sept (SL-INFO) – La malnutrition infantile frappe la région de Diourbel. Elle a atteint des niveaux alarmants. Entre pauvreté, sécheresses répétitives et accès limité aux soins, de nombreux enfants voient leur croissance et leur santé compromises dès leurs premières années de vie. Ce fléau silencieux met en lumière l’urgence d’une réponse multisectorielle.

Assise sur l’un des lits dans la petite salle d’hospitalisation, Ndèye Niane, l’air épuisé, le regard perdu, tient sa fille qui vient de finir de se faire perfuser. La couleur rouge et jaune vif du drap du lit contraste avec la pâleur et la fragilité du corps de l’enfant. Vêtue d’un pantalon jean et d’un haut blanc qui cache mal ses épaules osseuses, la petite Y. Ngom a les pieds légèrement gonflés. Ce sont des œdèmes. Sa tête, d’un volume disproportionné par rapport à son corps, accentue l’impression de sa maigreur. Ses grands yeux logés dans son visage ovale expriment une fatigue chronique.

« C’est mon 4e enfant. Depuis sa naissance, elle souffre d’un retard de croissance associé à un asthme », confie Ndèye Niane. Après son accouchement, la jeune dame est entrée dans un état critique et a été hospitalisée. Son bébé, lui, a été placé en crèche, « privé d’allaitement maternel pendant un mois et dix jours ». Conséquence : Y. Ngom souffre de malnutrition depuis quatre ans.

C’est à la pédiatrie de l’hôpital de Diourbel où Ndèye Niane vient chercher la solution pour sa fille. Les murs sont peints en mauve, vert et blanc, pour amuser les enfants qu’il accueille le temps de leur visite. Mais que nenni ! L’état de Y. Ngom ne lui permet pas de remarquer cela. L’harmonie de couleurs des murs ne l’égaye ni ne lui procure de la joie.

En cette matinée du mardi 15 juillet 2025, malgré une chaleur suffocante, plusieurs mamans et leurs enfants malades s’impatientent dans les couloirs pour une consultation. Dans la salle des soins, les cris perçants et insistants d’un petit garçon emplissent les lieux. L’atmosphère est pesante.

Pauvreté, chaleur… : les racines du mal

Dans la salle jouxtant celle où est prise en charge la fillette Y. Ngom, se trouve le petit C. A. B. Diouf, âgé d’un an et demi. La mine triste, son retard de croissance saute aux yeux, dans la mesure où sa taille ne dépasse visiblement pas les 80 cm. Pire, ses frêles jambes ne lui permettent pas de se tenir debout correctement, encore moins de faire des pas sans tomber. D’après sa maman Ndèye Aw, il refuse de s’alimenter ou quand il accepte, c’est pour vomir immédiatement. En plus de cela, C. A. B. Diouf souffre de « diarrhée chronique ». 

« Face à cette situation préoccupante, j’ai décidé de l’emmener chez les sœurs (NDLR : Les religieuses), car elles offrent un accompagnement médical remarquable, notamment pour les enfants souffrant de malnutrition », raconte sa jeune mère.

Si C. A. B. Diouf est dans cette situation, c’est parce que sa maman ne lui a pas assuré un allaitement exclusif au sein pendant six mois, à cause de la canicule à Diourbel. « Je lui donnais de l’eau et je crois que c’est la cause de son état de santé fragile », avoue-t-elle, la voix faible et le visage fatigué, comme si chaque souvenir de souffrance la touchait encore profondément.

D’une population totale de 2 208 281 habitants et située à 150 km à l’est de Dakar, Diourbel est la 3e région la plus peuplée du Sénégal, après Dakar et Thiès. La zone est un carrefour commercial et agricole, notamment pour l’arachide et d’autres productions rurales. Sans compter son dynamisme culturel et religieux, avec le grand Magal de Touba, la ville sainte qui accueille de milliers de fidèles de la confrérie mouride du pays et de la diaspora pour commémorer le départ en exil au Gabon de leur guide religieux.

Toutefois, c’est une région exposée à des sécheresses fréquentes. « Ces épisodes réduisent considérablement la production agricole, affectant la disponibilité d’aliments de base. Cela entraîne une insécurité alimentaire chronique, surtout chez les populations rurales », a exposé la responsable du Bureau d’information, d’éducation et de promotion de la santé (BREPS), Mame Bousso Amar. C’était lors de la caravane organisée par l’Association des journalistes en santé, population et développement, en partenariat avec la fondation Bill et Melinda Gates, dans le cadre du projet « Santé et Lumière », sur le thème « Enjeux et défis de la malnutrition : l’avis des communautés ».

Diourbel, record d’enfants malnutris

Cependant, la dépendance agricole, notamment à l’arachide, compromet la sécurité nutritionnelle avec peu de fruits, de légumes ou de sources de protéines variées dans les régimes alimentaires locaux. « En cas de mauvaise récolte ou de chute des prix, les revenus baissent et la malnutrition augmente », souligne le BREPS.

La malnutrition à Diourbel (avec ses quatre districts – Diourbel, Touba, Mbacké et Bambey) touche plusieurs groupes de populations en raison de leur vulnérabilité physiologique, sociale ou économique. Il s’agit notamment de jeunes enfants, de femmes enceintes ou allaitantes ainsi que les communautés rurales les plus isolées. Ces groupes subissent les effets combinés de la pauvreté, d’un accès limité aux soins de santé, de l’insécurité alimentaire et de conditions de vie précaires.

Directeur régional de la Santé (DRS) de Diourbel, le docteur Mamadou Dieng a fait le point sur la malnutrition dans la région. « Nous avons la malnutrition aiguë globale, qui touche pratiquement 17,1 % des enfants de 0 à 5 ans, contre 10 % au niveau national. Par rapport au retard de croissance, nous sommes à 17 %, alors que la moyenne nationale est de 14,3 %. Pour l’insuffisance pondérale, la région est à 22,3 % contre 16 % pour la moyenne nationale. Pour l’allaitement maternel exclusif, nous sommes à moins de 30 %, alors que la moyenne nationale est de 34 % », a-t-il énuméré.

Revenant sur les statistiques, le spécialiste en santé publique, très accessible, dit que cela signifie qu’il faut améliorer l’adhésion des femmes à cet allaitement. Car jusqu’à présent, il y a celles qui continuent de ne pas allaiter exclusivement au sein. Pour lui, ces dernières doivent être sensibilisées et amenées à le respecter puisque c’est très bénéfique pour l’enfant, pour sa croissance et cela le met surtout à l’abri des diarrhées. 

Dans cette région, les enfants malnutris viennent souvent des zones périurbaines et de tous les districts. « Avec la commune de Touba, qui a le plus grand poids démographique, on retrouve plus d’enfants malnutris dans le département de Mbacké. Bambey et Diourbel suivent », renseigne-t-il.

«  (…) les enfants sont nourris comme des adultes, avec du riz au poisson, alors que… »

Quid des solutions ? Le Dr Dieng précise que le secteur de la santé ne peut pas lutter seul contre la malnutrition. Selon lui, il faut une approche multisectorielle intégrée, qui associe la communauté aux réponses proposées.

À l’en croire, il faut renforcer la sensibilisation et la disponibilité des aliments, la sécurité alimentaire, faciliter l’accès à l’eau et lutter contre l’insalubrité, prévenir les maladies diarrhéiques et assurer que les aliments soient disponibles pour les enfants. La lutte contre la pauvreté est primordiale. « Là où il y a la pauvreté, il y a souvent des cas de malnutrition », dixit le Dr Dieng. Avant de suggérer : « Il faut que les enfants bénéficient d’une attention plus particulière quant à leur alimentation. »

Car, poursuit le docteur Mamadou Dieng, il est fréquent de voir dans les ménages les enfants nourris comme des adultes, avec du riz au poisson, alors que leur âge ne leur permet pas nécessairement de digérer ce type d’aliment.

Dans certaines familles, même les professionnels de santé ne sont pas épargnés par les réalités de la malnutrition infantile. L’agent de santé officiant dans le district sanitaire de Diourbel, Tabara Ndiaye, témoigne, avec humilité, du parcours de soin de sa fille A. C. Ndiaye, guérie de la malnutrition. Elle indique : « Ma fille était constamment malade, souffrant de diarrhées chroniques et d’une malnutrition persistante à cause de ma belle-famille qui me demandait de donner de l’eau à l’enfant dès les premiers mois et des aliments. Dieu merci, aujourd’hui, elle va beaucoup mieux. Elle reprend du poids et son état de santé s’est nettement amélioré. »

Pratiques optimales de l’ANJE 

D’un air timide, elle explique que lors de ses premières visites chez les sœurs, ces dernières l’ont bien conseillée sur la manière de l’alimenter correctement et l’ont encouragée à respecter rigoureusement les apports nutritionnels prescrits. «Peut-être que mon manque de disponibilité a contribué à cette malnutrition, car je travaille de 8 h à 16 h et durant mon absence, elle ne prenait que des biberons avec du lait artificiel », explique Tabara Ndiaye.

L’agent de santé dit avoir regretté de n’avoir pas respecté pleinement l’allaitement exclusif, qui consiste à ne rien donner au bébé que du lait maternel pendant ses six premiers mois. 

Par ailleurs, la responsable du BREPS recommande, entre autres, à la Direction de la Mère, de la Santé et de l’Enfant (DSME) d’assurer la disponibilité des intrants nutritionnels, de doter la région de matériel anthropométrique (115 balances double pesée, 230 bandelettes de Shakir et 115 toises) et de plaider auprès du ministère de la Santé et de l’Action sociale (MSAS) pour l’intégration des produits nutritionnels dans la chaîne d’approvisionnement du Sénégal-Pharmacie nationale d’approvisionnement (SEN-PNA). 

Concernant les partenaires techniques et financiers, il leur est demandé d’appuyer la sensibilisation des populations sur les bonnes pratiques en nutrition et sur la survie de l’enfant ainsi que l’acheminement des intrants nutritionnels vers les districts de la région.

Pourtant, les pratiques optimales d’alimentation du nourrisson et du jeune enfant (ANJE) sont essentielles pour la santé et la survie des jeunes enfants. Lesquelles comprennent l’initiation précoce de l’allaitement dans l’heure qui suit la naissance, l’allaitement exclusif pendant les six premiers mois, sa poursuite pendant deux ans ou plus et l’introduction, à l’âge de 6 mois, de compléments aliments sûrs, appropriés et adéquats. Lesquels pourront couvrir les besoins en énergie, en protéines, en fer, en zinc et en vitamines A et C.

En attendant, Fatma Wade de HKI rappelle qu’il existe une antibiothérapie destinée aux enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère (MAS). « On sait qu’avec l’antibiothérapie, cela peut développer des résistances », souligne-t-elle. Un début de solution…

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