Dakar, 16 juin (SL-INFO) – Divorce, insomnie, isolement: Rama* a vu sa vie basculer en enfer depuis que son ex-petit ami a partagé avec son mari et des proches ses photos intimes qu’elle lui envoyait quand le couple sénégalais était encore ensemble.
Son cauchemar débute en 2024 lorsqu’elle décide de se marier avec un autre homme, quelque temps après avoir quitté son ex-partenaire. Ce dernier, rancunier, prend contact avec des membres de sa belle-famille ainsi que son époux pour leur divulguer des photos d’elle nue.
Il menace également d’envoyer les clichés à un célèbre influenceur sénégalais pour qu’il les publie sur la toile.
Depuis, plus rien ne va dans la vie de Rama qui a porté l’affaire devant la justice en avril dernier.
Au Sénégal, les cas comme le sien sont légion. Sur fond de chantage ou par vengeance, la diffusion sur les réseaux sociaux d’images intimes touchant des anonymes ou des célébrités s’est accrue ces dernières années dans ce pays d’Afrique de l’Ouest.
Il ne se passe plus une semaine sans que les médias ou les réseaux sociaux ne rapportent des affaires liées à ce fléau qui empoisonne la vie de nombreux Sénégalais.
En parallèle, un réseau d’influenceurs sénégalais basés pour la plupart à l’étranger et qui ont fait de cette pratique un métier s’est développé sur la toile. Suivis par des centaines de milliers de followers, ils n’hésitent pas à diffuser, sur commande, des images intimes de personnes, moyennant une rémunération.
Entre 2024 et 2025, au moins dix plaintes ont été déposées auprès de la Commission de protection des données personnelles (CDP), selon un calcul de l’AFP basé sur des rapports trimestriels. Mais les chiffres réels sur l’ampleur du phénomène dépassent largement ce nombre, affirment plusieurs acteurs de la justice et de la sécurité interrogés par l’AFP.
Calvaire
La majorité des plaintes sont directement déposées au service de la police en charge de la cybercriminalité, expliquent-ils, soulignant par ailleurs qu’un grand nombre de victimes n’osent pas aller en justice par peur d’être jugées par la société.
« Le regard et le jugement de l’autre dissuadent les victimes à étaler leur cas sur la place publique », explique Mouhamadou Lo, expert en droit numérique. « Entre les revues de presse et la vitesse de partage sur les réseaux sociaux, le silence prend malheureusement le dessus. C’est très difficile de vivre avec le sentiment d’avoir été +déshabillé+ ».
La société sénégalaise, qui prône des valeurs traditionnelles fortes, juge sévèrement les femmes qui en sont victimes.
Rama, elle, a trouvé le courage de porter son affaire devant la justice. En cette matinée du 23 avril, la jeune femme se présente à son procès dans une salle d’audience archicomble.
Murmures et protestations montent dans la pièce au fur et à mesure qu’elle raconte d’une voix assurée son calvaire aux juges.
« A cause de cette histoire, j’ai fait une fausse couche et perdu mon mari. Je n’arrive plus à dormir et j’ai tout le temps peur. J’ai dû changer mon numéro de téléphone et bloqué tous mes comptes sur les réseaux sociaux », confie-t-elle.
Dans le box, le mis en cause, 44 ans, assiste à son témoignage, le regard tantôt figé, les yeux tantôt levés vers le ciel ou la tête baissée.
« Je faisais tout pour elle: argent de poche, téléphone dernier cri, maquillage, cure-dents… Mais elle m’a trahi », lance-t-il à la barre. « J’étais en colère mais aujourd’hui je regrette », conclut-il devant le tribunal, qui le condamne à deux ans de prison dont un mois ferme, en plus d’une amende d’un million FCFA (1.524 euros).
Selon le code pénal sénégalais, la collecte ou la divulgation de données à caractère personnel sont passibles de un à sept ans de prison et d’une amende pouvant allant de 500.000 à 10 millions de FCFA (762 à 15.244 euros).
Mais cela ne fait pas oublier aux victimes leur traumatisme.
Pensées suicidaires
Malgré la condamnation de son ex-petit ami qui a divulgué leurs vidéos intimes dans un groupe WhatsApp pour se venger d’elle après leur rupture, Adama*, étudiante de 20 ans, vit depuis sous un stress permanent. La jeune étudiante a même penser à se suicider.
« Je n’avais plus aucun goût à la vie. Je ne mangeais plus; je ne dormais plus, je voulais juste mourir. Ma vie est gâchée à jamais, personne ne voudra se marier avec moi à l’avenir… », confie-t-elle les larmes aux yeux.
Mounacss*, elle, raconte à l’AFP avoir fui son quartier à Dakar pour aller se réfugier pendant plus d’un mois dans son village natal après que son ex-partenaire a partagé avec ses amis des images privées d’elle.
Désormais de retour, elle confie vivre dans la « honte » et « n’arrive plus à soutenir le regard des voisins ».
« Les victimes sont généralement très désemparées et déboussolées », explique Fatimatou Fall, chef de division de la protection des droits à la CDP.
Son organisme tente toutefois de les aider à tourner la page, mais également à faire supprimer leurs vidéos ou photos compromettantes publiées sur les réseaux en travaillant avec les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft).
* Les prénoms ont été modifiés pour des raisons de confidentialité.