Dakar, 19 juin (SL-INFO) – Derrière les grues, les échangeurs et les chantiers du Train express régional (TER), se cache un enjeu bien plus vaste qu’une simple amélioration de la mobilité urbaine. Depuis une quinzaine d’années, le Sénégal investit massivement dans ses infrastructures de transport – autoroutes à péage, modernisation des ports, renouveau ferroviaire – avec un objectif clair : stimuler une intégration économique plus équilibrée à l’échelle nationale et régionale. Ces projets, qui ont mobilisé plusieurs milliers de milliards de FCFA d’investissement public et privé, sont devenus de véritables leviers de structuration territoriale. Mais leurs effets, bien que réels, demeurent contrastés.

Le Train express régional, emblème du Plan Sénégal Émergent, illustre cette logique de transformation. Avec un trafic de plus de 7 millions de passagers cumulés depuis sa mise en service partielle en 2021, le TER relie désormais Dakar à Diamniadio en moins de 40 minutes. Au-delà du confort ou de la ponctualité, il contribue à reconfigurer le rapport centre-périphérie dans la région capitale. De nombreux travailleurs peuvent désormais s’installer dans des zones périurbaines tout en accédant plus rapidement aux pôles d’activité de la capitale, favorisant une forme de décongestion urbaine et de redéploiement résidentiel et commercial.

Parallèlement, l’extension du réseau autoroutier – notamment l’autoroute Dakar-AIBD-Thiès, prolongée vers Mbour, puis vers Touba – réduit les temps de trajet, fluidifie les flux de marchandises, et renforce les liaisons interrégionales. En connectant les bassins agricoles, les pôles touristiques (Petite-Côte) ou les zones industrielles émergentes à des infrastructures logistiques modernes, ces routes favorisent l’émergence de corridors économiques dynamiques. Cependant, ces impacts restent encore très polarisés autour de Dakar et de la région des Niayes, avec une pénétration plus lente dans les régions enclavées de l’intérieur.

Le port de Dakar, en cours de décongestion par le développement du nouveau port multifonctionnel de Ndayane, joue également un rôle crucial dans le positionnement du Sénégal comme hub logistique régional. La montée en puissance de ce port en eaux profondes, opéré en partenariat avec DP World, vise à doubler la capacité de traitement des conteneurs, tout en stimulant des zones économiques spéciales intégrées. À terme, ces installations devraient favoriser l’implantation d’activités de transformation et d’exportation à proximité immédiate des infrastructures portuaires. Mais là encore, l’effet d’entraînement sur l’ensemble du territoire dépendra de la connectivité logistique en amont, notamment ferroviaire et routière.

Malgré ces avancées, plusieurs limites persistent. Le déséquilibre entre les grandes infrastructures nationales et les réseaux secondaires freine l’irrigation économique des zones rurales. Un marché régional dynamique nécessite aussi des routes rurales entretenues, des gares routières organisées et des plateformes logistiques décentralisées. Sans cela, les opportunités créées par les grands axes risquent de rester captées par les seules métropoles ou les grands groupes déjà insérés dans les chaînes d’approvisionnement.

De plus, le coût social de certaines infrastructures à péage, comme les autoroutes urbaines, soulève des critiques. Leur accessibilité réelle pour les usagers à faibles revenus reste limitée, et l’intégration des populations riveraines dans les retombées économiques demeure insuffisamment documentée.

Enfin, la mise en service de ces infrastructures n’est pas toujours synchronisée avec une politique industrielle ou agricole cohérente. Les zones industrielles, logées le long des grands axes, peinent parfois à attirer des investissements faute de fiscalité incitative, d’énergie fiable ou de main-d’œuvre qualifiée. Ce décalage entre les infrastructures physiques et les écosystèmes productifs fragilise le rendement socio-économique attendu.

Au total, les infrastructures de transport jouent incontestablement un rôle moteur dans la transformation économique du Sénégal, mais leur impact dépend fortement des articulations territoriales, sectorielles et sociales qui les accompagnent. Pour qu’elles deviennent de véritables instruments de cohésion régionale et de résilience économique, il faudra davantage qu’un réseau asphalté ou ferré : il faudra une vision d’ensemble, articulée aux réalités locales et aux besoins des populations.

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