Dakar, 28 Oct (SL-INFO) – Des excavations, des mottes de terre aux côtés de tombes blanches anonymes, des dalles en béton disloquées: le cimetière militaire de Thiaroye, près de Dakar au Sénégal, où l’armée française a tué en 1944 des tirailleurs africains réclamant leurs soldes, porte les stigmates des fouilles inédites ayant permis d’exhumer des squelettes.

Une équipe de l’AFP a pu se rendre sur le lieu de ces fouilles sans précédent.

Des caissons couverts d’un plastique bleu, enfouis dans le périmètre étudié par les archéologues, émergent à la surface par endroits dans ce cimetière de la ville de Thiaroye, près du camp militaire éponyme, lieu du massacre des tirailleurs.

Le 4 novembre 1944, quelque 1.600 d’entre eux, d’ex-prisonniers de guerre des Allemands, embarquent depuis la France pour leur pays, après avoir combattu pour l’armée française lors de la Seconde Guerre mondiale. Après leur arrivée au camp de Thiaroye, ils se révoltent contre le retard du paiement de leurs arriérés de soldes.

Au matin du 1er décembre 1944, ces tirailleurs, originaires de plusieurs pays ouest-africains (notamment du Soudan français – devenu le Mali -, du Sénégal, de Côte d’Ivoire, de Guinée, de Haute-Volta – devenue le Burkina Faso), sont massacrés par l’armée coloniale française. Les circonstances de la tuerie, le nombre de tués et leur lieu d’inhumation restent à élucider.

Le traumatisme de ce massacre reste vif au Sénégal et dans les pays concernés.

Le cimetière de Thiaroye a été créé en 1926 par la France coloniale pour y enterrer les soldats « indigènes ». Des tirailleurs tués le 1er décembre 1944 y sont inhumés dans des fosses communes, selon des chercheurs.

L’armée sénégalaise en avait interdit l’accès quand ces fouilles ont débuté en mai dernier.

En raison des difficultés pour le Sénégal d’accéder aux archives coloniales françaises, il fallait « faire parler le sous-sol » du cimetière renfermant des vestiges, explique le directeur des archives et du patrimoine historique de l’armée sénégalaise, le colonel Saliou Ngom.

Le cimetière compte 202 tombes blanches anonymes.

Les fouilles ont été menées à l’ombre d’un des deux grands baobabs. C’est « un arbre calcicole, c’est-à-dire qui aime le calcaire. Là où il y a des ossements, il y a souvent des baobabs », indique le professeur d’histoire et de géographie Mamadou Koné, conseiller technique du directeur des archives et du patrimoine historique des Forces armées.

Traces de violences

Un Livre blanc rédigé par des chercheurs et remis le 16 octobre au président sénégalais Bassirou Diomaye Faye qualifie le massacre du 1er décembre 1944 comme « prémédité » et « camouflé ».

Les autorités françaises de l’époque donnent un bilan allant jusqu’à 70 tirailleurs tués. Les « estimations les plus crédibles avancent les chiffres de 300 à 400 » morts, dont certains sont inhumés dans le cimetière, selon le Livre blanc.

Pour le colonel Ngom, « contrairement à la thèse selon laquelle il n’y avait pas de corps (enterrés dans le cimetière), les archéologues ont trouvé sept squelettes. C’est une étape très importante dans la recherche de la vérité historique ».

L’un des archéologues ayant mené les fouilles, Moustapha Sall, précise que « sept tombes ont été fouillées dans le premier lot (de sépultures) qui en compte 34 ».

« Un squelette renferme une balle dans son côté gauche (à) l’emplacement du cœur. D’autres sont dépourvus de colonne vertébrale, de côtes ou de crâne. Des individus sont inhumés avec des chaînes en fer aux tibias. Ça veut dire qu’ils ont subi des violences », dit-il.

« Les tombes sont postérieures aux inhumations et des parties des squelettes dépassent l’emplacement des tombes. Une hypothèse est que ces tombes aient été construites après les inhumations ou que ce soit une mise en scène pour faire croire à un enterrement décent », explique M. Sall.

« Trois des sept squelettes trouvés sont dans des coffrages en bois. Des individus portent des brodequins, des boutons et des pattes de collet. Des anneaux et des bagues ont aussi été retrouvés dans des tombes », ajoute-t-il.

Etudes génétiques et balistiques

« Les résultats préliminaires ne permettent pas de répondre à toutes les questions (sur le massacre). Il faut compléter par des études génétiques. Des prélèvements d’ADN permettront de déterminer l’origine des individus. Des experts balistiques donneront des informations sur le matériel militaire retrouvé », notamment la nature de la balle et l’arme utilisée, poursuit M. Sall.

Le gouvernement sénégalais a commandé un radar de pénétration du sol (RPS) pour mieux explorer les profondeurs du sous-sol du cimetière où « la nappe phréatique affleure », selon lui.

« Cela fait 81 ans qu’on est à la recherche de la vérité historique. Si le sous-sol nous donne (cette vérité), il n’y a rien de plus significatif », souligne le colonel Ngom.

Le président Faye, engagé dans la valorisation de la mémoire des soldats coloniaux, a annoncé avoir validé la « poursuite des fouilles archéologiques sur tous les sites susceptibles d’abriter des fosses communes ».

En novembre 2024, à l’approche du 80e anniversaire des événements de décembre 1944, le président français Emmanuel Macron avait reconnu que les forces coloniales françaises avaient commis un « massacre » à Thiaroye.

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