Saint-Louis, 10 Fév (SL-INFO) – Le harcèlement en milieu scolaire est un fléau mondial touchant un grand nombre d’élèves. Au Sénégal, plusieurs personnes qui en sont victimes continuent d’être hantées par cette mésaventure scolaire. Même si aucun chiffre n’est disponible pour renseigner sur ce mal profond et multiforme, il est temps que les acteurs s’engagent.
Avril 2009. Nous sommes en pleine année scolaire. Astou Seck est une élève en classe de CM2. Étant la cadette de la classe, la jeune fille de 10 ans a toujours la meilleure note. Elle est forte en dictée, grammaire, conjugaison… cette fille est finalement admirée de tous les enseignants. Ce qui ne fait pas le bonheur de certains de ses camarades qui commencent à comploter. « Mes camarades ne parlaient plus avec moi », se rappelle-t-elle.
Multipliant les coups bas, les camarades d’Astou ne se cachent plus ! « Ils me détestaient et le montraient à tous, même aux enseignants », confie-t-elle.
Un jour, pendant qu’ils devaient faire une sortie pédagogique à Ngor, Astou va vivre un événement qu’elle n’oubliera jamais !
« On se baignait sur la plage pendant que la maîtresse est partie chercher de l’eau. À un moment, mes camarades, garçons comme filles, se sont éloignés pour parler. Je ne les ai pas rejoints, mais ils sont revenus m’encercler et, d’un coup, ils ont commencé à me noyer. Une autre camarade m’a sauvée », se rappelle douloureusement cette femme, maintenant âgée de 28 ans.
« Je ne l’ai jamais raconté à mes parents car ils m’avaient défendu de me baigner. J’étais un enfant et j’ai désobéi. Depuis ce jour, je ne me lie d’amitié avec personne ! Ça m’a traumatisée. Parfois, les images reviennent même si des années sont passées », raconte Astou, qui est aujourd’hui devenue journaliste.
Oui ! Astou a été victime d’harcèlement de la part de ses camarades. Même s’ils étaient jeunes, la jalousie les a poussés à vouloir commettre l’irréparable.
Le harcèlement scolaire peut se manifester sous plusieurs formes : Physique : Il se traduit alors par des coups, bousculades, vols d’affaires ; Verbal : Cela revient aux injures, moqueries; Psychologique : Il peut s’agir de l’isolement ou de la diffusion de rumeurs ; Cyberharcèlement : C’est une forme de harcèlement via les réseaux sociaux, messages insultants ou humiliants en ligne.
Si Astou a vécu il y a 11 ans le harcèlement verbal et physique, Dieynaba Touré a été victime il y a une année.
Cette fille de 14 ans est belle et claire de peau. Elle est aussi l’une des meilleures de sa classe. L’adolescente a le malheur de retrouver son ancienne camarade dans la classe. Entre les deux filles, ce n’est pas le grand amour. « Elle m’a toujours détestée et je n’ai jamais compris pourquoi », se demande innocemment Dieynaba. « Tout a commencé par des attaques verbales, des regards de haine jusqu’au jour où, elles revenaient de l’école. Elle m’a jetée sur la route, heureusement que le chauffard a freiné à temps », se réjouit-elle.
Assise sous la véranda à côté de sa mère, celle-ci explique qu’elle n’a pas laissé cet affront passer.
« Je suis allée chez la mère de la fille qui voulait s’en prendre à mon aînée et je lui ai tout racontée. Elle a pris fait et cause pour son enfant et on s’est disputées. Son mari est sorti avec une cravache et a bien bastonné la petite », narre la quadragénaire.
La maman de Dieynaba ne s’est pas limitée là, elle est partie s’entretenir avec le directeur de l’école. Ce dernier a vu rouge après avoir découvert ce qui s’est passé. Il a convoqué les parents des filles. « Il a finalement renvoyé la petite car il a dit qu’il ne pouvait pas cautionner un tel acte de violence dans son établissement ».
Vêtue d’une robe brodée, Mme Fall est dans la cour de l’école où elle travaille comme surveillante. Elle veille sur les élèves qui jouent. Surveillante depuis plus de dix ans, Mme Fall partage son expérience sur le harcèlement scolaire. « J’ai vu des élèves subir des violences physiques, des moqueries constantes, et même des menaces. Chaque type de harcèlement laisse des marques profondes sur les victimes », révèle la quinquagénaire.
Elle liste ce qui doit alerter les grandes personnes. « Les victimes se replient souvent sur elles-mêmes. J’ai remarqué des changements soudains de comportement, comme une baisse des performances scolaires, des absences répétées et un manque d’intérêt pour les activités scolaires. Les élèves harcelés ne se sentent pas à l’aise à l’école », explique la dame. Elle pense que le meilleur moyen d’aider les victimes, c’est la compréhension.
« Les élèves ont besoin de savoir qu’ils peuvent se confier à un adulte de confiance. J’encourage toujours les victimes à parler, que ce soit à un enseignant, à un parent ou à moi-même », ajoute-t-elle.
La surveillante propose une meilleure sensibilisation à ce sujet.
« Nous devons organiser des ateliers de sensibilisation pour les élèves, les parents et le personnel éducatif. Il est impératif de mettre en place des protocoles clairs pour gérer les situations d’harcèlement. Cela inclut des sanctions pour les harceleurs et un soutien psychologique pour les victimes », souligne la surveillante.
Face à ces harcèlements, la Coordination nationale des opérateurs en alphabétisation du Sénégal (Cnoas) pense que les principales causes sont l’influence des médias et la culture de la violence, la drogue et les stupéfiants, et les conflits familiaux.
« Bien que l’école soit censée être un lieu sacré dédié à l’épanouissement des jeunes, le harcèlement en milieu scolaire devient un phénomène sociétal gangrène nos établissements scolaires », se désole Mamadou Konté, le président de la Cnoas.
Pour remédier à ce mal scolaire, la Cnoas, qui accompagne l’État depuis 1995 dans le cadre de l’élaboration et la mise en œuvre des programmes d’éducation non formelle, intervient pour la scolarisation des populations analphabètes. Ainsi, les membres ont inclus la sensibilisation dans leur programme. « Nous développons des programmes d’Informations, d’Education et de Communication (IEC) pour asseoir une culture de paix et lutter contre les violences et le stigmatisme et favoriser l’inclusion en milieu scolaire », souligne M. Konté.
La Cnoas ne se limite pas à former. Quand un élève est victime de harcèlement, l’organisation assure leur protection en les mettant en rapport avec des professionnels. « Les victimes sont accompagnées par des psychologues qui les écoutent et les orientent », révèle-t-il.
Mise en synergie des acteurs
Pour éradiquer le harcèlement dans le milieu éducatif, il est important qu’enseignants, élèves, et parents d’élèves collaborent. À cet effet, l’Union nationale des parents d’élèves et d’étudiants du Sénégal (Unapees) a mis en place une commission prévention et règlement des conflits. Le président Abdoulaye Fané pense que c’est une question qui doit être l’objet d’une attention particulière de la part des autorités en charge de l’éducation mais également des parents d’élèves. « Dans le cadre de nos activités, nous essayons de mettre à contribution les associations de parents d’élèves membres de l’Unapees pour prévenir et informer sur toute tentative allant vers ces dérives », informe M. Fané.
Il rajoute : « Au niveau des écoles et particulièrement les CEM et lycées, existent des conseils de gestion dont font partie les Associations des parents d’élèves et qui ont prévu dans leurs missions la lutte contre ces méfaits », informe Fané.
Le président de l’Unapees estime que la meilleure stratégie de lutte est une mise en synergie des acteurs du système éducatif qui ne peut être effective, opérationnelle qu’avec la mobilisation de toutes les composantes, y compris les élèves.
« Il faut la mobilisation des collectivités territoriales, la sensibilisation des parents d’élèves, l’accompagnement par des assistants sociaux de même que le ministère de la Famille qui a une direction et une cellule d’appui à la protection de l’enfant. Avec la mise en commun de toutes ces compétences et expertises, il sera facile de trouver des solutions à ce fléau », conclut M. Fané.
En 2023, la responsable de la Cellule genre du ministère de l’Education nationale, Marie Siby Faye, a présenté une étude faite avec l’appui de l’ambassade du Canada, de l’Unicef, et de Plan Sénégal.
La dite étude, publiée par l’agence de presse Sénégalaise (APS), montre que 32% des élèves sont victimes de violence à l’école. Le milieu urbain est plus touché par ces violences survenant dans le cadre familial ou à l’école, que le milieu rural. Les filles sont d’ailleurs plus affectées avec 34,8%, contre 1% pour les garçons.
Les résultats de l’étude par région montrent que la région de Tambacounda enregistre le plus de violences physiques envers les élèves, avec un taux de 62%, alors que celle de Kédougou enregistre le moins de violences envers les élèves avec 14,50%.