Dakar, 27 juin (SL-INFO) – Le Sénégal devra encore attendre pour présider la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Lors du sommet ordinaire des chefs d’État tenu à Abuja, au Nigeria, le dimanche 22 juin 2025, Julius Maada Bio, président de la Sierra Leone, a été élu 37e président de l’organisation, succédant ainsi au président nigérian Bola Ahmed Tinubu
Candidat légitime et pressenti pour le poste, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye n’a pas obtenu la présidence tournante de l’institution sous-régionale, contrairement aux attentes de certains observateurs qui le voyaient comme un choix naturel. Selon le Pr Abdou Bah, enseignant-chercheur et spécialiste des questions sous-régionales, plusieurs facteurs expliquent cet échec : « la faiblesse de la diplomatie sénégalaise, le manque d’expérience à la tête d’une organisation en proie à des crises sans précédent, la situation politique et économique interne du Sénégal, ainsi que des relations défavorables avec les principales institutions financières internationales ». Cependant, Bah Traoré, chargé de recherche Sahel au think tank WATHI, nuance cette analyse, estimant qu’il serait « prématuré, voire excessif, de qualifier cette non-nomination de camouflet diplomatique ». Selon lui, Faye n’a ni officiellement présenté sa candidature ni mené une campagne active, ce qui relativise la portée de ce revers. Il suggère que cette non-nomination pourrait refléter un choix stratégique du Sénégal, visant à construire progressivement son influence diplomatique dans une politique étrangère ancrée à la fois dans la région et ouverte sur le monde.
La faible influence diplomatique des pays francophones de la CEDEAO
L’influence des pays francophones au sein de la CEDEAO s’est affaiblie, notamment après le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger, formant l’Alliance des États du Sahel (AES). Bah Traoré souligne que « ce départ coordonné de trois pays francophones a mécaniquement réduit l’influence collective des États francophones dans les processus décisionnels de l’organisation, diminuant leur poids dans les arbitrages politiques majeurs, y compris pour la présidence tournante ». À cela s’ajoutent les fragilités politiques de certains pays francophones : « la Côte d’Ivoire traverse une instabilité politique avec les controverses autour du président Alassane Ouattara ; la Guinée, dirigée par un régime issu d’un coup d’État, est en décalage avec les principes de l’organisation ; et le Togo, avec le maintien controversé du président Faure Gnassingbé, suscite des critiques », selon le Pr Abdou Bah. Bien que la rotation linguistique entre pays anglophones, francophones et lusophones ait été une pratique consensuelle non écrite, Bah Traoré note que « l’histoire de la CEDEAO montre que certains États ont occupé la présidence à plusieurs reprises, sans toujours respecter cet équilibre linguistique ».
La proximité affichée du Sénégal avec les pays de l’AES
En janvier 2025, le président Bassirou Diomaye Faye a réaffirmé son soutien à la souveraineté des pays de l’Alliance des États du Sahel, tout en plaidant pour un dialogue constructif afin de préserver la stabilité régionale. Désigné par la CEDEAO pour faciliter la réintégration des pays de l’AES, sa médiation n’a pas abouti, ce qui pourrait avoir influencé sa non-élection à la présidence. Toutefois, Bah Traoré estime que « cette proximité avec les dirigeants de l’AES n’aurait pas dû constituer un obstacle, étant donné le réchauffement récent des relations entre la CEDEAO et l’AES ». Selon lui, le choix de Julius Maada Bio s’explique par des considérations stratégiques : « la désignation d’un chef d’État ayant une trajectoire militaire, comme Bio, ancien putschiste reconverti à la démocratie, pourrait faciliter un dialogue plus direct avec les juntes de l’AES, dans un contexte de méfiance persistante ».
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