Dakar, 05 nov (SL-INFO) – Un soir de septembre, les deux larges voies de la corniche de Dakar sont, comme souvent, encombrées par d’interminables files de taxis, où se faufilent des motards pressés. Mouhamadou Bamba, 43 ans, tente de garder son calme au volant de sa voiture tout en jetant un oeil sur l’application de transport à la demande Yango qu’affiche son téléphone.

Depuis deux mois, cet ingénieur en génie civil de formation a rejoint, comme des milliers d’autres Sénégalais, cette plateforme numérique similaire à Uber en Europe, et lancée fin 2021 au Sénégal dans les villes de Dakar, Thiès et Mbour.

Pour beaucoup, il s’agit d’une reconversion temporaire, dans l’attente de la relance des grands chantiers de construction.

Depuis l’arrivée au pouvoir du tandem Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko en 2024, l’exécutif a stoppé nombre de projets de construction, publics ou privés.

Sur la corniche de Dakar, des tas de gravats gâchent la vue sur l’océan, vestiges d’un projet d’aménagement urbain qui devait s’étendre sur une dizaine de kilomètres. Officiellement, l’Etat affirme vouloir « revoir les procédures d’attribution des terrains et lutter contre l’accaparement du littoral ».

À Diamniadio, ville nouvelle située à une trentaine de kilomètres de Dakar et considérée par l’ancien régime comme la pierre angulaire de sa politique de désengorgement de la capitale, des chantiers publics sont également à l’arrêt.

Des milliers d’ouvriers se sont retrouvés sans emploi.

Le syndicat du Consortium des entreprises du bâtiment et des travaux publics du Sénégal (CDE) a tenu un point de presse en septembre pour alerter sur la crise du secteur.

« Arriérés de salaire »

« Dès 2023, nous avons commencé à accumuler des retards de salaires et, depuis 2024, ce sont désormais 4 à 5 mois d’arriérés », dénonce Souleymane Abdoulaye Demba, syndicaliste et gestionnaire de stock au CDE.

« En 2023, le Consortium employait encore 2.500 travailleurs (…) Aujourd’hui, nous ne sommes plus que 1.000 », se désole Amath Diop, un autre syndicaliste.

Le chiffre d’affaires réalisé dans le secteur de la construction a chuté de 13,4% en 2025, selon les données officielles.

C’est dans ce contexte que des plateformes comme Yango enregistrent une croissance spectaculaire. « Depuis notre lancement, le nombre de chauffeurs partenaires a été multiplié par environ quatre », estime Sabine Djokoto-Ayité, responsable des relations publiques pour l’Afrique francophone de la plateforme.

Elle précise que ces chauffeurs « se comptent en dizaines de milliers ». « Une grande proportion des chauffeurs et coursiers partenaires se situe dans la tranche d’âge des 20 à 40 ans », dit-elle.

Mouhamadou Bamba est très aigri face à la morosité du secteur. Il a dû se reconvertir après l’interruption du chantier d’un immeuble dans le quartier huppé des Almadies à Dakar.

« J’en étais le maître d’ouvrage », confie ce père de deux enfants, nostalgique du salaire à sept chiffres qu’il percevait. Aujourd’hui, il dit gagner entre 30.000 et 50.000 FCFA (entre 45 et 76 euros) par jour de travail – une somme élevée dans un pays où le salaire moyen mensuel d’un salarié est de 96.206 FCFA (146 EUR).

Son frère, ancien ouvrier à la filiale de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) l’a rejoint dans cette activité.

Colère des taxis jaunes

Mais M. Bamba n’est pas satisfait de son sort et reste à l’affût de nouveaux chantiers ou de la reprise du sien.

« La reconversion vers les plateformes VTC ne constitue pas une solution au chômage, mais plutôt un simple changement d’activité pour des travailleurs déjà expérimentés », explique Tamba Danfakha, président de la coalition « Priorité emploi » au Sénégal.

Malick (prénom modifié pour raison de sécurité), 39 ans, refuse de s’éterniser dans le transport VTC avec Yango, même si « ça paie assez bien », confie-t-il à l’AFP. Ce père de deux enfants a acquis son savoir-faire dans le bâtiment en travaillant aux côtés de son patron européen.

Par loyauté, il s’interdit de le quitter malgré le ralentissement de ses activités. En attendant des jours meilleurs, il conduit pour Yango la nuit et non le jour, pour rester discret.

Le chômage et l’Etat ne sont pas les seuls obstacles que rencontrent Malick, Mouhamadou Bamba et d’autres qui se sont repliés vers le transport sur commande. Depuis janvier, les chauffeurs traditionnels de taxis jaunes manifestent régulièrement pour dénoncer une « concurrence déloyale » de la part de ces services VTC (Yango, Yassir, Heetch, Yanati).

« La plupart de ces conducteurs opèrent sans les papiers requis pour le transport urbain », fulmine Modou Seck, porte-parole des chauffeurs de taxi, dans un entretien avec l’AFP. Il dit constater qu’ils exercent sans les documents obligatoires tels que le permis d’exploitation, l’assurance, le timbre de visite technique ou le permis professionnel.

Faisant fi de la colère des taximen et des lourdeurs de l’Etat, Mouhamadou Bamba et les autres continuent, eux, leurs courses pour faire vivre leurs familles.

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