Dakar, 31 juillet (SL-INFO) – Le débat juridique autour de l’« offense à une personne exerçant les prérogatives du chef de l’État » a remis sur la table la question de l’interprétation de l’article 254 du Code pénal, souvent critiqué pour sa portée floue.
Deux pénalistes, Ousseynou Samba et Iba Barry Camara, s’opposent sur cette question : « le Premier ministre peut-il être juridiquement assimilé au président de la République ? » Pour le premier, « le Premier ministre n’est pas concerné par l’article 254 du Code pénal, car il n’existe pas de disposition spécifique le protégeant contre l’offense ».
Il a indiqué que l’infraction d’ « offense à une autorité publique » ne peut viser le chef du gouvernement que s’il agit par délégation expresse du président de la République. L’article 254, souligne l’absence de délégation formelle des prérogatives présidentielles, ce qui rend difficile l’application de « l’offense à une personne exerçant les prérogatives du chef de l’État » au Premier ministre.
Toujours selon le professeur Ousseynou Samba, la controverse juridique autour de l’article 254 du Code pénal ne devrait susciter aucun débat. « La réponse », dit-il, « se trouve clairement formulée dans les textes, à portée de tout lecteur rigoureux du droit. Le Premier ministre, ne saurait en aucun cas entrer dans le champ d’application de l’alinéa 2 de cet article, qui prévoit une protection pénale particulière en cas d’offense à certaines autorités. Il n’existe aucune disposition spécifique protégeant le Premier ministre contre l’offense. La seule protection spéciale prévue par le code pénal concerne le président de la République », a -t-il tranché.
« L’article 254, alinéa 2, ne vise en effet qu’un cas de figure précis, celui où une personne exerce, temporairement et de manière formalisée, les fonctions présidentielles. Or, seul le président de l’Assemblée nationale peut se retrouver dans cette situation, et uniquement en cas de vacances ou d’empêchement du chef de l’État, conformément à l’article 39 de la Constitution. Dans un tel contexte, cette personne assume les fonctions du président de la République et, de ce fait, bénéficie de la même protection pénale. Mais en aucun cas, la Constitution ne prévoit que le Premier ministre exerce les prérogatives du chef de l’État », a expliqué le professeur Samba.
Le pénaliste rejette fermement l’idée d’une délégation implicite ou informelle : « Une délégation orale n’existe pas. L’administration, elle est écrite ». Et même dans l’hypothèse d’une délégation formelle, celle-ci ne serait juridiquement valable qu’à travers un décret dûment signé et publié au Journal officiel ». « À ce jour », souligne-t-il, « aucun décret n’a conféré à Ousmane Sonko, en sa qualité de Premier ministre, des prérogatives présidentielles. Si tel avait été le cas, ses avocats l’auraient produit en justice. En l’état, le Premier ministre n’exerce pas les fonctions du président de la République, et ne peut donc bénéficier de la protection prévue à l’article 254, alinéa 2», a indiqué le pénaliste.
« Une interprétation judiciaire encore incertaine »
Là où le Pr Ousseynou Samba tranche net, le professeur Iba Barry Camara invite à plus de prudence. Pour lui, « l’article 254 du Code pénal mérite une lecture moins rigide. Ce texte a prévu que les peines prévues pour l’offense au chef de l’État s’appliquent également à toute personne exerçant tout ou partie des prérogatives du président de la République. Dès lors, une question essentielle reste ouverte : le Premier ministre exerce-t-il, même partiellement, de telles prérogatives ? Là, il faudrait effectivement attendre que les hautes juridictions se prononcent ».
Le professeur Camara a souligné que « c’est la première fois qu’on est confronté à l’application de ces dispositions dans un cas concret ». Contrairement à l’approche de son confrère, il a confié que la loi n’exige pas formellement que la délégation soit matérialisée par décret. « Cette exigence d’un acte écrit émane davantage d’une interprétation du tribunal que du texte lui-même. Or, l’alinéa 2 reste volontairement large. Il n’impose pas une forme de délégation explicite », a -t-il soutenu.
Pour le pénaliste, « la récente décision du tribunal correctionnel sur le cas Moustapha Diakhaté ne saurait clore le débat. Elle ne constitue qu’un premier jalon dans une réflexion juridique qui devra être tranchée au plus haut niveau. Il ne s’agit que d’un jugement de première instance. Il faudra attendre une prise de position de la Cour suprême pour obtenir une lecture définitive et irrévocable de la portée de l’article 254 », a-t-il estimé.
Selon le Pr Camara, « Ce débat cet infraction d’offense au Premier ministre pose une question de fond : le Premier ministre exerce-t-il de facto certaines prérogatives présidentielles dans l’exercice quotidien de ses fonctions, même en l’absence de délégation écrite ? », a-t-il demandé .
« Lorsque le procureur a visé l’alinéa 2 de l’article 254, beaucoup de juristes ont affirmé que cette infraction n’existait pas. Pourtant, elle existe depuis Mathusalem. Le problème, c’est qu’elle n’avait jamais été mobilisée dans ce contexte », a souligné le professeur Iba Barry Camara.