Dakar, 28 juillet (SL-INFO) – Dans les couloirs feutrés des grandes agences de passation de marchés, les griefs s’accumulent. Les entreprises sénégalaises du BTP tirent la sonnette d’alarme. Marginalisées dans les grands chantiers, éclipsées par des majors étrangères parfois soutenues par leurs États ou leurs bailleurs, elles dénoncent une mise à l’écart croissante dans leur propre pays. Leur appel ne parle pas seulement de contrats perdus. Il porte une inquiétude plus large, celle d’une souveraineté économique qui se délite à force de dépendance contractuelle.
Depuis plusieurs années, la tendance est claire. Sur les grands projets routiers, portuaires, énergétiques ou ferroviaires, les attributaires principaux sont rarement locaux. Et même lorsqu’ils participent, les entreprises sénégalaises le font souvent en sous-traitance, avec des marges étroites et peu de contrôle sur les délais, les normes ou la chaîne de valeur. Ce déséquilibre n’est pas que symbolique. Il structure l’écosystème économique, freine la montée en compétence, limite l’investissement productif et confisque une partie de la valeur ajoutée.
Face à cette situation, l’État a promis une loi sur la préférence nationale. Mais une préférence décrétée sans cadre contractuel cohérent risque de rester lettre morte. Aujourd’hui, les critères d’attribution des marchés publics, souvent calqués sur les standards des bailleurs internationaux, valorisent la capacité financière, l’historique technique ou les références similaires… autant de critères qui favorisent mécaniquement les grands groupes étrangers. Pour inverser la tendance, il faudra réformer en profondeur ces règles, adapter les seuils, repenser les garanties, renforcer l’ingénierie contractuelle des PME locales et clarifier les dispositifs de partenariat.
Car la préférence ne peut produire d’effet que si elle s’appuie sur une offre nationale solide. Cela suppose d’investir dans les capacités techniques, d’accompagner la structuration des filières, d’améliorer l’accès au financement, et de renforcer l’expertise publique en matière de suivi de chantier. Autrement dit, de faire émerger un BTP sénégalais capable, crédible, outillé, qui ne demande pas un traitement de faveur, mais des conditions de concurrence équitable.
La reconquête économique du secteur ne se fera pas au nom d’un patriotisme abstrait. Elle nécessitera des choix concrets, parfois coûteux ; former, financer, adapter les appels d’offres, assumer des clauses sociales ou de contenu local, et arbitrer entre rapidité d’exécution et développement endogène. C’est à ce prix que la commande publique pourra redevenir un levier stratégique, non seulement pour construire des routes ou des ponts, mais pour ancrer l’économie nationale dans la durée.
Il ne suffit pas de parler de souveraineté. Encore faut-il se donner les moyens institutionnels, juridiques et techniques de la rendre réelle.
