Dakar, 07 août (SL-INFO) – Il voulait tirer sa révérence en beauté, mais il s’est effondré avec fracas. Le dimanche 27 juillet 2025, Bombardier affrontait Jackson Jr, un jeune lutteur originaire de Guédiawaye. L’affiche promettait un jubilé, un dernier tour d’honneur pour le B52 de Mbour, destiné à clore une carrière de près de trente ans sur une note festive. Mais l’histoire en a décidé autrement. Son adversaire n’avait pas l’intention de jouer les figurants. Ce qui s’annonçait comme une sortie de scène pour Serigne Dia s’est transformé en un véritable test pour le jeune prodige de l’écurie « Guédiawaye Mbollo ». Un choc générationnel aux allures de passation de pouvoir, empreint d’une tension palpable. En seulement 4 minutes et 24 secondes, le verdict est tombé. Sur une unique empoignade, Jackson Jr a plaqué Bombardier au sol avec une prise d’une simplicité déconcertante, trop simple, diront certains, pour un combat de cette envergure.
Une chute brutale, synonyme de clap de fin pour l’ancien roi des arènes, qui raccroche enfin, à la quarantaine bien entamée, voire à l’aube de la cinquantaine. Son âge réel reste un mystère, entretenu avec soin, comme un secret de vestiaire. Ce flou artistique lui a peut-être permis de prolonger sa carrière, avec la complicité des zones grises réglementaires qui planent sur la lutte sénégalaise.
À l’époque du docteur Alioune Sarr, alors président du Comité national de gestion (CNG), l’âge limite des lutteurs était fixé à 45 ans. Une règle discrètement assouplie sous la pression des lutteurs, avec l’aval d’un médecin jugé apte à délivrer le précieux sésame. Une rallonge de trois ans pour permettre à des corps usés, mais à des esprits combatifs, de décrocher encore quelques cachets avant la retraite.
Un autre argument en faveur de cette longévité : le statut de VIP de l’arène. Aucun texte officiel ne définit clairement ce titre, mais selon les confidences des initiés de ce cercle presque ésotérique, certains critères se dégagent.
Le premier, et non des moindres, est la popularité. Dans l’univers du « lamb », l’image prime souvent sur la force ou la technique. Avant de maîtriser les prises, il faut savoir enflammer les foules. L’exemple de Diop 2, lutteur de Yeumbeul, est révélateur. Son dernier combat contre Tapha Mbeur, à l’arène nationale, ressemblait à un meeting politique. Les gradins débordaient de supporters en t-shirts blancs, galvanisés, prêts à porter leur champion vers la victoire. Et ils y sont parvenus. Porté par cet élan populaire, Diop 2 s’est cru capable de défier Modou Lô, le roi des arènes en personne. Une ambition qui peut sembler prématurée, voire irréaliste, mais qui, dans la lutte sénégalaise, n’a rien d’hérétique. L’audace fait partie du jeu.
Une autre condition pour intégrer le cercle fermé des VIP : l’aval des promoteurs. Être talentueux ne suffit pas ; il faut qu’une structure solide accepte de vous mettre en lumière à coups de dizaines de millions. Ce n’est pas une mince affaire. Cette logique financière resserre encore davantage les rangs de l’élite, une élite microscopique dans un univers qui comptait plus de 4 000 licenciés lors de la saison 2022-2023, un chiffre probablement en hausse aujourd’hui.
En fin de compte, une saison de lutte sénégalaise se résume à une poignée d’affiches majeures, rarement plus d’une dizaine, avec toujours les mêmes noms : Balla Gaye 2, Modou Lô, Eumeu Sène, Bombardier, Gris Bordeaux, Tapha Tine… Ces figures reviennent en boucle, car elles ont eu le privilège d’entrer dans le club très select des VIP de l’arène. Pas de carte de membre ici, seule compte la capacité à faire vibrer les foules et à remplir les caisses.
Un détail frappant saute aux yeux lorsqu’on observe ces « très importantes personnes » : ils ont tous dépassé la barre des 35 ans. Sur le plan social, cette tranche d’âge reste jeune. Le président de la République, considéré comme le plus jeune chef d’État de l’histoire du Sénégal, en est la parfaite illustration. Mais sur le plan sportif, le constat est tout autre.
À défaut d’avoir pris leur retraite, ils auraient dû commencer à y songer. Pourtant, rien de tel. Chez les lutteurs, cette tranche d’âge symbolise la maturité, une phase où ils affirment être au sommet de leur forme, tant physiquement que mentalement. Une illusion que la réalité sportive fait voler en éclats.
Car, même si la technique compte, la lutte sénégalaise exige puissance, explosivité et endurance, des qualités que l’âge érode lentement mais sûrement. Prenons l’exemple de Bombardier. Avant son dernier combat, le géant de Mbour enchaînait quatre défaites consécutives, toutes face à de jeunes loups affamés. Comme dans tout sport de haut niveau, le corps finit par réclamer son dû. Les années d’impacts, d’entraînements intensifs et de combats répétés laissent des traces. Plus le temps passe, plus le risque de blessure augmente. Balla Gaye 2 en est la preuve : à 39 ans, il peine à se remettre d’une blessure au genou qui le handicape depuis longtemps. Malgré cela, certains s’accrochent à leur place, faisant patienter une génération de remplaçants dans l’ombre. Et quand leur tour arrive enfin, il est souvent trop tard pour bâtir une véritable légende.
Le cas de Franc, révélation actuelle de l’arène, illustre cette situation. Le 2 août dernier, il a brillamment terrassé Eumeu Sène. Pourtant, à 31 ou 32 ans selon les sources, le « Ndiago Or » cumule déjà 12 ans de carrière. Débutée en 2013 dans la lutte simple, ou « Mbapat », son ascension s’est forgée bien avant d’éclater dans la lutte avec frappes. Avec 15 victoires en autant de combats et une silhouette taillée pour la guerre, Franc s’impose aujourd’hui comme le nouveau patron à battre. Un champion parvenu à maturité, mais un peu tard pour un sport où la fraîcheur fait souvent la différence.
Quand ce ne sont pas les années blanches qui freinent les lutteurs, ils doivent composer avec l’approbation des « grands ». Une affiche dans l’arène sénégalaise ne naît jamais d’un simple tirage au sort. Elle dépend de la volonté des promoteurs et, surtout, du bon vouloir des têtes d’affiche, qui n’acceptent un combat qu’à condition que l’adversaire leur convienne. Résultat : les lutteurs choisissent leurs challengers, et bien souvent, cela reste un jeu entre initiés, entre stars, entre habitués des cachets faramineux.
Dans ce cercle parfois fermé, un seul semble prendre des risques : Modou Lô, le roi des Parcelles. Il tend régulièrement la main aux jeunes ambitieux, affrontant Ama Baldé, Boy Niang 2 ou encore Siteu. À chaque fois, il en est sorti victorieux, renforçant son statut de patron incontesté. Mais à force de tourner en rond entre anciens, la lutte sénégalaise s’essouffle doucement.
Ne serait-il pas temps de repenser son organisation ? Pourquoi ne pas envisager un championnat national qui se déploierait sur toute la saison sportive ? Trois ligues, de la première à la troisième division, avec vingt lutteurs par division, voilà une piste à explorer sérieusement. Les trois meilleurs de chaque division accéderaient à l’échelon supérieur, tandis que les trois moins performants descendraient. Un système de montée et de descente qui insufflerait du mérite dans un sport trop souvent figé.
Côté finances, promoteurs et lutteurs pourraient s’en réjouir. Dans un contexte économique difficile, la mutualisation des efforts permettrait de réduire les risques, d’attirer davantage de partenaires et de proposer un produit plus lisible. Mieux encore, une organisation bien structurée séduirait sans doute les sponsors, qui pourraient revenir en force, rassurés par cette modernisation.
Enfin, un détail loin d’être anodin : un tel système offrirait une véritable opportunité aux milliers de licenciés qui rêvent de se faire un nom dans l’arène. L’internationalisation de la lutte sénégalaise pourrait également en bénéficier. Car un sport qui s’ouvre, s’organise et se professionnalise finit toujours par séduire. Et le monde entier pourrait bien devenir supporter.