Dakar, 27 juin (SL-INFO) – Dans les sociétés africaines, la santé mentale demeure l’un des derniers bastions du non-dit. Longtemps marginalisée dans les politiques de santé publique, elle reste profondément stigmatisée, mal comprise, et largement sous-financée. Le Sénégal, à l’instar de nombreux pays du continent, fait face à une crise silencieuse qui touche toutes les couches de la population, mais qui continue d’être traitée comme une affaire secondaire, voire honteuse.
Un défi mondial, une urgence africaine
La question de la santé mentale est aujourd’hui reconnue comme un enjeu de santé publique à l’échelle mondiale. L’OMS estime qu’une personne sur huit vit avec un trouble mental ou neurologique, mais dans les pays à faible revenu, moins de 2 % du budget de la santé lui est consacré. En Afrique, la situation est d’autant plus critique que les systèmes de soins sont fragiles, que les psychiatres sont rares et que les approches biomédicales coexistent difficilement avec des interprétations culturelles de la maladie.
Dans plusieurs pays d’Afrique centrale et de l’Est (RDC, Ouganda, Burundi, Cameroun), les troubles mentaux sont souvent assimilés à la sorcellerie, à la possession ou à un châtiment spirituel, ce qui retarde, voire empêche, la prise en charge. L’Afrique australe n’est pas en reste : en Afrique du Sud, malgré un système de santé plus développé, les inégalités d’accès aux soins psychiatriques persistent, notamment dans les townships.
Au Sénégal, la santé mentale au bord de l’effondrement
Au Sénégal, les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon les données de la Direction de la Santé mentale du ministère de la Santé, moins de 1 % du budget national de la santé est alloué à la santé mentale. Le pays ne compte qu’une vingtaine de psychiatres en activité pour plus de 18 millions d’habitants, dont plus de la moitié concentrés à Dakar. Le ratio est alarmant, bien en dessous du seuil recommandé par l’OMS (1 psychiatre pour 10 000 habitants).
Le centre psychiatrique de référence, l’hôpital de Fann à Dakar, est débordé, et les structures décentralisées sont rares, voire inexistantes. Dans les régions rurales ou semi-urbaines, les malades mentaux sont souvent abandonnés à leur sort, parfois enchaînés dans des daara (écoles coraniques) ou retenus dans des conditions inhumaines dans des familles ou chez des guérisseurs traditionnels.
Une stigmatisation encore prégnante 

Au-delà du manque de moyens, le principal obstacle reste la perception sociale de la maladie mentale. Les troubles psychiques sont fréquemment assimilés à de la folie incurable, du déséquilibre mystique ou du manque de foi. Cette vision pousse les familles à cacher les malades, à retarder le recours aux soins ou à les orienter en priorité vers des marabouts, herboristes ou voyants.
Les pathologies les plus fréquentes, dépression, troubles anxieux, psychoses, schizophrénie, bipolarité, sont rarement diagnostiquées à temps. Les jeunes, notamment en milieu urbain, sont de plus en plus exposés à l’anxiété de performance, au chômage, au sentiment d’échec, au cyberharcèlement ou aux solitudes numériques, sans accès à une prise en charge adaptée.
Les tentatives de suicide, encore taboues, sont en nette augmentation, selon des médecins du CHU de Fann. Les femmes sont particulièrement exposées, souvent en lien avec des violences conjugales, des grossesses précoces, ou des injonctions sociales étouffantes.
Des initiatives fragiles mais prometteuses
Face à cette urgence, quelques projets pilotes et associations tentent de combler le vide. L’ONG La Maison des Anges, créée par une ancienne patiente, milite pour une approche communautaire de la santé mentale. D’autres structures, comme Sama Santé Mentale ou NeuroAfrica, proposent un accompagnement psychologique en ligne, via des consultations à bas coût ou des campagnes de sensibilisation sur TikTok et Instagram.
En 2022, le ministère de la Santé a adopté un Plan national de santé mentale (PNSM) pour 2023-2027, visant à intégrer la santé mentale dans les soins de santé primaires, à former davantage de professionnels et à renforcer les centres de prise en charge communautaires. Toutefois, le plan souffre déjà de sous-financement, de manque de ressources humaines et d’une faible coordination avec les acteurs de terrain.
Vers un changement de regard ?
Des voix s’élèvent de plus en plus pour briser les silences. La parole se libère peu à peu sur les réseaux sociaux. Des artistes comme le rappeur Dip Doundou Guiss ou l’écrivaine Fatou Diome abordent ouvertement la souffrance mentale dans leurs œuvres. La web-série “Mentalement vôtre”, lancée en 2024 sur YouTube par un collectif de jeunes dakarois, met en scène avec finesse les réalités psychiques de la jeunesse sénégalaise, entre pression sociale, traditions et modernité.
Mais le changement de regard reste lent. Sans volonté politique forte, formations adaptées, et financement stable, la santé mentale restera le parent pauvre du système de santé sénégalais.

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