Dakar, 31 juillet (SL-INFO) – Dans la nuit bien avancée, un silence lourd et empreint d’inquiétude s’empare de la foule lorsque le jeune maître voyant Adama Gackou prédit dans une transe un avenir agité pour le Sénégal et de violentes manifestations, lors d’une cérémonie de divination sérère annuelle dans le centre du pays.
Mais l’atmosphère se détend quand il annonce peu après de très bonnes futures récoltes, provoquant des cris de joie et des scènes de danse frénétique dans le public.
Dans un état d’exaltation, le prédicateur, visage éclairé par une lumière blafarde, fait des va-et-vient dans le cercle de divination représenté par un pentagramme blanc tracé au sol.
Ses reins sont enserrés de gris-gris jusqu’à la taille et une grosse corne de boeuf pend sur sa poitrine. Totalement absorbé, le public est suspendu à ses lèvres.
D’une voix forte, il poursuit en langue sérère l’énumération de ses autres visions: graves accidents de la route, pluies abondantes, tensions au sommet de l’Etat sénégalais entre le président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko…
« S’ils ne font pas les sacrifices nécessaires, chacun risque d’aller de son côté d’ici la présidentielle de 2029 ! », tonne-t-il.
Comme chaque année à l’approche de la saison des pluies, une vingtaine de devins, plus connus sous le nom de saltigués au Sénégal, ont délivré tour à tour leurs prédications sur des événements qui pourraient survenir dans le pays au cours de l’année, lors d’une veillée de divination dans la nuit de samedi à dimanche appelée « Xooy » (L’appel), dans la région de Fatick.
Saison des pluies, récoltes, faits de société, décès de célébrités, politique, éventuelles catastrophes: aucun sujet n’est laissé de côté par les saltigués du Xooy de Malango auquel ont participé plusieurs délégations venues de l’intérieur du pays.
– Spiritualité africaine -Les devins sérères ont également fait des recommandations de sacrifices qui pourraient selon eux éviter la survenue de malheurs.
Tradition ancestrale et multiséculaire, le Xooy est un évènement très attendu au Sénégal. Malgré de nombreuses mutations de la société, nombre de Sénégalais continuent de croire aux pouvoirs mystiques et aux prédications des saltigués.
Il est principalement pratiqué par la communauté sérère, mais également par les Lébous vivant dans la capitale, Dakar.
Le Xooy « est un rendez-vous panafricaniste pour promouvoir la culture et la spiritualité africaine. Il apporte des solutions innovantes et concrètes à nos problèmes locaux et à ceux de l’humanité », assure l’initiateur de la cérémonie, Erick Gbodossou, appelant les autorités à plus de considération pour ces savoirs endogènes.
Dans le cercle de divination, l’ambiance est électrique. Tour à tour, les saltigués font leur entrée, parés chacun de différents talismans ornés de cauris (petits coquillages blancs), de miroirs ou de têtes d’oiseaux enveloppées dans un morceau de tissu.
Au son des tam-tams, certains gratifient le public de pas de danse, d’autres se glorifient en se tapant la poitrine. Ils se défient, se fusillent du regard, vantant chacun leurs présumés pouvoirs.
« Trop fort »Adama Gackou semble être la star de cette édition. Entre petites blagues, piques contre les autres saltigués et prédications, chacune de ses interventions tient en haleine le public. Il explique à l’AFP collaborer avec des « djinns » qui lisent l’avenir pour lui.
« Il est trop fort. Tout ce qu’il prédit se réalise », s’enthousiasme Amath Ndiaye, jeune spectateur venu d’un village situé à plusieurs kilomètres pour assister à la veillée, qui s’est poursuivie jusqu’au lendemain dans l’après-midi.
Pour Abdoulaye Ndiaye, un des saltigués, le Xooy est très important, car il peut éviter la survenue d’événements malheureux, même si beaucoup de Sénégalais n’y croient pas, indique-t-il.
M. Ndiaye raconte comment les saltigués avaient par exemple prédit et recommandé aux autorités des offrandes à faire pour éviter le naufrage du ferry Le Joola en 2002, une tragédie qui a fait près de 1.900 morts.
Les devins sérères avaient également annoncé la pandémie du Covid-19 en 2021, assure-t-il, bonnet rouge orné de cauris sur la tête.
Selon plusieurs de ses collègues, dans le passé, lorsque les rois du Sine (centre du pays) s’apprêtaient à aller en guerre, ils avaient systématiquement recours au Xooy pour connaître l’issue des batailles avant de s’engager.
Les saltigués expliquent avoir acquis leur savoir de différentes manières: certains « naissent avec » ou le reçoivent en héritage de leurs parents. D’autres l’obtiennent après de longues années de quête auprès des anciens, confie Abdoulaye Ndiaye. Ils peuvent lire l’avenir à travers l’eau, le vent, le feu, les cauris…
Les saltigués pratiquent également la médecine traditionnelle. A l’aide du Xooy, ils disent pouvoir faire diagnostiquer des maladies et les soigner avec des potions composées à partir de plantes médicinales sur prescription des esprits, assure El Hadji Malick Ngom, chef des saltigués lébous.
Malheureusement, ces savoirs endogènes sont aujourd’hui « très menacés » car de plus en plus reniés par les nouvelles générations, regrette-t-il.



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