Dakar, 26 juillet (SL-INFO) – Sur les écrans des téléphones, dans les salons ou entre deux bus rapides, les visages parlent. Ils ne crient pas. Ils conseillent, ils rassurent, ils nomment doucement ce que l’on tait depuis trop longtemps. Au Sénégal, une génération d’influenceurs s’empare d’un sujet longtemps resté dans l’ombre : la santé mentale.

Ils s’appellent psychologues, coaches ou simplement “écoutants”. Ils manient le langage du développement personnel, de la spiritualité, de la psychologie appliquée. Ils ne parlent pas d’atteindre le bonheur, mais de survivre aux blessures ordinaires, d’apprendre à dire non, d’accepter sa fatigue sans honte.

Coach Lèna Habib, créatrice de contenu très suivie, fait partie de ce mouvement. Avec ses vidéos courtes et intimes, elle explore les peurs, les relations toxiques, les schémas familiaux invisibles. Elle dit, avec des mots simples, que prendre soin de soi n’est pas une trahison. Que guérir n’est pas oublier. Et surtout que la douleur n’a pas à rester silencieuse.

Ce nouveau langage du soin, longtemps réservé à une élite formée à l’étranger, descend peu à peu dans les usages populaires. TikTok devient cabinet, Instagram devient carnet de bord. Dans un pays où la santé mentale est encore chargée de tabous, ces voix numériques défrichent un espace inédit, où parler de mal-être ne signifie plus perdre la face.

Le phénomène touche surtout les jeunes urbains. Entre deux vidéos d’humour, on s’arrête sur une capsule qui parle d’anxiété. Entre deux likes, on découvre qu’on n’est pas seul à avoir grandi dans une famille où “faire avec” était la règle, et la colère un luxe interdit. Le “masla” culturel, ce pli de diplomatie qui demande aux femmes comme aux hommes de se taire pour préserver la paix sociale, trouve ici son contrepoids. Le soin de soi devient un acte politique discret.

Il ne s’agit pas d’individualisme occidental plaqué sur un tissu social africain. Il s’agit d’une traduction. Une adaptation. Un tissage entre connaissances contemporaines et réalités locales. Ces figures du soin digital convoquent aussi les proverbes, les traditions, les expériences vécues. Elles ne rejettent pas le passé, elles le relisent.

Mais il ne faut pas s’y tromper. Si ces nouvelles voix rencontrent un tel écho, c’est aussi parce qu’elles pallient une absence structurelle. Le pays manque cruellement de psychologues, de structures publiques accessibles, d’espaces d’écoute institutionnalisés. Dans cette faille, les créateurs de contenu engagés ouvrent une brèche. Précaire, mais précieuse.

Parler de ses émotions ne résout pas tout. Mais c’est déjà une brèche dans le mur. Une première main tendue vers soi-même. Et au milieu de l’agitation numérique, quelques visages calmes apprennent à toute une génération à écouter ce qui ne se dit pas.

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