Dakar, 29 Oct (SL-INFO) – Le journaliste et analyste politique Ibrahima Bakhoum revient sur la polémique autour des interviews accordées par Madiambal Diagne aux journalistes Maïmouna Ndour Faye de la 7Tv et Babacar Fall de la Rfm. Il estime qu’aucune loi n’interdit à un journaliste d’interviewer une personne présumée innocente et dénonce les dérives qui menacent la liberté de la presse au Sénégal.
Est-il interdit à un journaliste d’interviewer une personne sous le coup d’un mandat d’arrêt ?
Au départ, on peut le penser. On se dit qu’à partir du moment où la loi a besoin de lui et qu’un mandat a été émis pour aller le chercher, il est considéré – entre guillemets – comme un fugitif. Mais en réalité, je n’ai pas vu d’acte de sa part qui le ferait passer pour quelqu’un en fuite. Jusqu’à nouvel ordre, son interdiction de sortie du territoire n’a pas été levée. Le jour où il a voulu partir, on l’en a empêché, et lui a choisi une autre stratégie pour continuer son chemin, différemment, mais avec la même destination.
Alors, est-ce un fugitif ? Certes un mandat d’arrêt international a été lancé contre lui, mais il n’a pas encore été jugé. Il reste donc présumé innocent donc, il a, comme vous et moi, le droit de s’exprimer, de parler aux Sénégalais. Il doit pouvoir s’expliquer, où qu’il soit. L’affaire n’étant pas encore jugée, il anticipe simplement sa défense, ce qui est son droit.
Les journalistes, eux, ont le droit de collecter, traiter et diffuser l’information, avec la liberté de critique et de commentaire. Dans ce cas précis, on est à la phase de collecte : une journaliste a estimé qu’il serait utile de donner la parole à celui dont tout le monde parle, afin que les citoyens sachent ce qui se passe dans leur pays puisque le journaliste travaille dans un contexte où les enjeux politiques sont très forts. Et le fait d’avoir arrêté la journaliste qui a mené l’interview, ou d’avoir coupé le signal de la radio avec une telle brutalité, est clairement excessif.
Cela pourrait même renforcer la position de Madiambal Diagne. En cas de demande d’extradition, il pourrait dire devant le juge français : « Voyez, même le droit à la parole m’est interdit. » Si la dimension politique domine le dossier, le juge pourrait estimer qu’il ne bénéficierait pas d’un procès équitable et refuser son extradition.
La journaliste, elle, a simplement fait son travail : donner la parole à un sujet dont tout le monde parle. En le faisant, elle affaiblit peut-être certaines positions, mais elle ne commet aucune faute. Ce n’est pas interdit à un journaliste de donner la parole à quelqu’un poursuivi, surtout si ce n’est pas pour un crime.
L’interpellation de ces journalistes constitue-t-elle une atteinte à la liberté de la presse ?
C’est au minimum une menace. Parce qu’il y a atteinte au droit du journaliste de collecter, traiter, diffuser, commenter et critiquer l’information. C’est une violation du droit fondamental du journaliste, et donc une menace directe à la liberté d’expression et à la démocratie.
Comment analysez-vous les relations entre le nouveau pouvoir et la presse ?
Les nouvelles autorités connaissent très bien la presse. Elles savent combien elle peut être utile à un homme politique, mais aussi combien elle peut déranger un pouvoir. Si le gouvernement agit réellement dans la transparence et la bonne gouvernance, il n’a pas à craindre les journalistes.
Le problème, c’est que beaucoup de Sénégalais espéraient un vrai changement. Mais ceux qui critiquent aujourd’hui étaient souvent les mêmes qui applaudissaient hier. Sous le précédent régime, certains encensaient le pouvoir. Et aujourd’hui, on voit les mêmes erreurs se répéter : ceux qu’on croyait différents se révèlent finalement semblables aux autres, cherchant avant tout à protéger leurs propres intérêts.
